le 24 juin 2022, Paris 12ème
Nous nous sommes retrouvés avec joie et sous un soleil éclatant à cette inauguration qui rendait hommage à Sarah Monod, philanthrope féministe protestante, directrice laïque de l’’Institution des Diaconesses, grâce en particulier à nos cousines Isabelle Rey-Sabatier et Gabrielle Rey-Cadier, Ligne VI branche 2. On notera que cette inauguration a eu lieu le jour de l’anniversaire de Sarah et que la totalité des discours a été faite par des femmes !
Discours de notre cousine Gabrielle Cadier-Rey (Ligne VI, branche 2), historienne :
Sarah Monod est née à Lyon le 24 juin 1836 – Bon anniversaire Tante Sarah –
où son père Adolphe était pasteur. Mais à partir de 10 ans, elle devient parisienne et le restera toute sa vie. Elle naît dans une famille nombreuse : son frère aîné sera aussi pasteur et aumônier des Diaconesses pendant un quart de siècle, et quatre sœurs. Leur mère Hannah Honeyman est écossaise et les enfants feront de fréquents séjours là-bas. Sarah maîtrise si bien l’anglais qu’elle traduit en français des livres de piété anglais.
Ses sœurs se marient, elle non. Elle va s’occuper de sa mère jusqu’à son décès en 1868. Comme Sarah paraît disponible, le Conseil de direction de l’Institution des Diaconesses aussitôt lui demande d’y entrer. Sarah hésite. Bien sûr elle connaît bien les diaconesses, elle y intervient déjà, mais elle s’occupe aussi d’autres œuvres.
Que représentent alors les Diaconesses ? Cette institution de Sœurs protestantes a été créée en 1841, pour porter témoignage et assurer dans ce quartier populaire de Reuilly, des fonctions sociales, notamment hospitalières et scolaires. À cette époque, il n’existe aucune protection so-
ciale. Toute l’assistance relève de la charité, municipale, religieuse ou laïque. Les Diaconesses ont ouvert des écoles, un dispensaire, une maison hospitalière. Mais elles ont aussi un autre rôle ; elles accueillent les femmes qui sortent de prison (la plupart sont d’anciennes prostituées) et qui sou- haitent changer d’existence. Enfin, l’administration pénitentiaire leur confie, pour rééducation, les petites et jeunes filles délinquantes mineures (de 6 à 21 ans), protestantes. Elles reçoivent là une instruction primaire et une formation professionnelle.
Juste un exemple de l’importance des Diaconesses dans le quartier : on l’a vu pendant le siège de Paris en 1870. On sait que le siège de Paris par les Prussiens fut très rude, que les Parisiens en étaient réduits à manger les rats et les animaux du Jardin des Plantes. Eh bien, pendant le siège, les Diaconesses ont continué à nourrir quotidiennement les 150 enfants de leurs écoles.
Quand la guerre a éclaté en août 1870, Sarah s’est engagée dans une ambulance organisée par deux cousins Monod, sous les auspices de la Croix Rouge qui vient d’être créée (1864). Ce sont huit voitures qui suivent le front pour ramasser et soigner les blessés quelle que soit leur nationalité.
Sarah accompagnée de deux diaconesses s’est chargée de l’intendance. Le fait que des particuliers organisent ainsi des ambulances privées, c’est dire l’incurie du régime impérial. Cette ambulance de la famille Monod a pris en charge, opéré, soigné plusieurs centaines de soldats, pendant plus de six mois.
Rentrée à Paris, Sarah va de plus en plus s’impliquer chez les Diaconesses. La nouvelle directrice est hollandaise, elle connaît mal le protestantisme français, alors Sarah va l’assister et jouer en quelque sorte le rôle d’une directrice laïque, pendant plus d’un quart de siècle. Parallèlement, elle continue de s’occuper de nombreuses œuvres et peu à peu va se forger sa conscience féministe.
Elle s’intéresse particulièrement aux prisons et elle se rend compte de l’injustice qui frappe les femmes, notamment les prostituées prises entre les maisons closes et la prison. Elle prend conscience de l’injustice de la double morale, celle des hommes qui excuse, celle des femmes qui accuse. Elle s’engage dans la croisade abolitionniste. Éviter que des jeunes filles se retrouvent prises dans cet engrenage va être un de ses combats. Avec son amie Julie Siegfried, elle va participer à la création de nombreux foyers, pour accueillir ces jeunes filles. En militant en faveur de la recherche en paternité (qui entraînerait indemnisation et droits alimentaires), en s’intéressant aux mineurs dé- linquants, maltraités, en prônant les tribunaux pour enfants comme aux États-Unis, elle fait œuvre de réformatrice sociale.
Son élection à la tête du Conseil National des Femmes Françaises (créé en 1901, branche française du Conseil International) va donner une autre dimension à son action. C’est pendant longtemps la plus importante organisation féminine/féministe de France. Et Sarah, pour faire avancer ses projets, va multiplier les interventions auprès de l’administration, des hommes politiques, des municipalités. C’est par souci de la justice qu’elle défend les droits des femmes. C’est par souci de l’efficacité qu’elle se rallie à la campagne en faveur du vote des femmes. Efficacité en effet : tant que les femmes n’auront pas de poids politique, leurs démarches n’aboutiront pas. Juste un exemple : en 1904 et
en 1906, une commission officielle est nommée pour réformer le code civil. Aucune femme n’en fait
partie. Sarah écrit au ministre de la Justice : « Il est impossible que la révision du code civil soit ten- tée sans que toute une moitié de citoyens français qu’il régit soit appelée à donner son opinion. » Sa protestation fut sans effet… Des femmes électrices auraient sans doute eu plus de poids.
Et pourtant, pour toutes ces activités, Sarah est décorée en 1911 de la Légion d’Honneur, ce qui était très rare à l’époque pour une femme. Mais un an plus tard, elle attrape froid, une pneumonie, et elle meurt en décembre 1912. Lors de ses obsèques , les honneurs militaires lui sont rendus par
une délégation d’officiers de
la place de Paris. Aujourd’hui, ce sont des honneurs civils qu’au-delà des années la Ville de Paris lui a rendus.
Merci !
Gabrielle Rey-Cadier Ligne VI branche 2
Discours de la représentante de Madame Anne Hidalgo, maire de Paris :
Par cet hommage public de la Ville de Paris à une femme remarquable et engagée nous voulons garder sa mémoire et faire rayonner son nom et son exemple dans le quartier des Diaconesses, à deux pas de cette grande institution.
Le protestantisme est évidemment essentiel dans le parcours de Sarah Monod. Son engagement sa vie durant, bien que résolument laïque, dans toutes ses différentes étapes, est indissociable de sa foi.
Sur la plaque que nous dévoilerons, il est inscrit : Sarah Monod était protestante. Mais plus précisé- ment elle était une protestante féministe.
La jeune Sarah a eu la chance de grandir dans un milieu intellectuel protestant, encourageant l’ouverture et le souci de l’autre ; tout en cultivant la curiosité, l’échange et le goût du partage. Des points d’appui, une force qui l’auront aidée, dans cette société alors terriblement fermée aux femmes, à arriver à suivre son chemin de vie, à se réaliser, forte du socle de ses valeurs.
La situation des femmes sera ainsi une préoccupation constante pour Sarah Monod, dont le but est de soutenir leur émancipation. Elle a certainement été sensibilisée à cette question par l’exemple de sa mère. Celle-ci faisait partie de l’Œuvre protestante des prisons de femmes d’Elizabeth Fry, ce qui fait que Sarah Monod s’intéresse très tôt au sort des femmes incarcérées. Ce combat féministe, Sarah Monod en fût l’une des pionnières, en cette période où les femmes du monde entier com- mencent à s’organiser pour leurs droits : les suffragettes se lèvent aux États-Unis et en Europe, les femmes artistes s’affirment, les militantes structurent leurs organisations.
À Paris, Sarah Monod devient une figure centrale des combats féministes, élue présidente du
Conseil National des Femmes Françaises : cette nouvelle structure qui devient vite la principale organisation féministe de notre pays au début du siècle, avec Julie Puaux-Siegfried.
Cet engagement fort, influe sur sa façon d’accomplir sa mission chez les Diaconesses dont elle est devenue la directrice laïque. Au cœur de cette institution, Sarah Monod va impulser de nombreuses et remarquables œuvres et actions sociales à caractère féministe, et plus largement en faveur des plus démunis. Sa pugnacité, sa détermination alliées à sa force de travail, furent essentielles dans le combat féministe de son temps.
L’inauguration d’une place au nom de Sarah Monod contribue ainsi à élargir la représentation des femmes dans notre espace public – et il y a encore fort à faire pour rééquilibrer les choses… Don- ner de la visibilité à la contribution des femmes dans notre histoire, que notre espace mémoriel témoigne des actions de celles qui dans bien des domaines, qu’ils soient professionnel, artistique, sportif, philanthropique, militant… permet de montrer aux passantes et passants, et particulière- ment aux plus jeunes, filles et femmes, qu’en différentes périodes des femmes pionnières ont su ouvrir des chemins… Ces exemples peuvent contribuer, surtout pour les jeunes citoyens, à se pro- jeter dans une représentation collective différente, plus juste, plus égalitaire… Évidemment, seul un plus grand nombre de noms de femmes donné à nos rues places, jardins, équipements publics n’y suffira pas ! On sait combien la mobilisation des femmes pour affirmer leurs droits à plus d’égalité doit être constante, au moindre relâchement même des acquis sont remis en cause.
Tout ce qui participe du partage de la mémoire, de l’histoire, des savoirs et qui s’inscrit dans la topographie est important. Avec le nom de Sarah Monod, cette place constituera une des étapes du futur Parcours des femmes pionnières qui vient nourrir et illustrer cette démarche volontariste de Paris, sous l’impulsion de la Maire, pour garder traces de toutes ces femmes qui, par leurs paroles, leurs actions, leur savoir, leurs pensées, ou leur art, ont nourri notre histoire commune, ont impulsé et inventé des chemins, qu’il nous revient de faire connaître, et de transmettre aux plus jeunes d’entre nous.
Sarah Monod compte évidemment parmi celles-là … Et même si elle n’était pas particulièrement portée sur les honneurs, elle aurait probablement apprécié que son œuvre si importante dans le domaine de la solidarité et de l’émancipation des femmes, puisse être encore au XXIe siècle, source d’exemple et d’encouragement à l’action.
Ce lieu gardera pour longtemps vivante la mémoire de Sarah Monod et qu’au-delà son sens de la sororité et du partage, ses valeurs nous éclairent.
J’adresse mes respectueuses salutations à vous Sœur Mireille, prieure de la Communauté des Dia- conesses de Reuilly et à travers vous aux membres de votre communauté.
Isabelle Rey-Sabatier, Ligne VI branche 2
Message de Sœur Mireille, diaconesse de Reuilly :
Voici le message de Sœur Mireille tel qu’elle nous l’a donné dans la salle France Quéré de l’hôpital des Diaconesses de Reuilly, après l’inauguration.
Sœur Mireille parle de l’inauguration en ces termes : «Ce fut un moment de très grande qualité, et je suis heureuse d’en avoir été témoin, ainsi que mes sœurs»
« Nous sommes dans cette salle, dont la particularité est qu’elle est au- dessus de la chapelle de l’hôpital ! Un vrai symbole ! Dans le moment que nous célébrons, cette situation est pleine de significations.
Ici se tiennent les Conseils d’administration, les staffs de médecins, les temps de formation, les rencontres informelles… bref toutes sortes d’évènements liés à l’activité de ce lieu.
Dans la chapelle se tiennent des offices réguliers, et aussi, des prières
personnelles par celui, celle qui passe et, même les prières du person- nel musulman qui vient y inscrire ses rites. Toute une vie spirituelle au fondement de ce bâtiment !
Sarah Monod, outre ses nombreux engagements, a été la collabora- trice, la co-directrice de l’Institution des Diaconesses, avec Sœur Waller, alors supérieure de la Communauté ! Deux femmes, de fortes person- nalités l’une et l’autre, pour diriger ensemble une institution !…
Leur collaboration donnait visage au double charisme à la source de l’Institution des Diaconesses : une communauté religieuse, signe et fer- ment d’unité pour l’Église, et des œuvres en réponse aux besoins de la société, une dimension de spiritualité forte, et une dimension sociale.
Elles ont tenu ensemble ces deux dimensions. Nous la retrouvons aujourd’hui dans la Fondation Diaconesses de Reuilly, seule fondation abritant une communauté religieuse.
Ce bâtiment dans lequel nous sommes dit cette double dimension :
au fondement la prière; à la source, le cœur profond de toute vie en quête de sens et de rencontre avec le Tout Autre… Bref la source de toute vie.
Et au rez-de-chaussée, la salle toute prête pour les rencontres, le labeur, l’élaboration de pro- grammes d’action, les orientations, les évaluations. Bref l’être au monde !
Il me plaît à penser que la collaboration de Sarah Monod et Sœur Waller a été à cette image. Qui plus est, elles ont fait de cette collaboration une pierre de fondation pour ce que nous sommes aujourd’hui. Petite communauté religieuse, (50 sœurs en France et à l’étranger) et relativement grosse institution, la Fondation Diaconesses de Reuilly, (50 établissements, 2000 salariés, et une grande diversité de champ d’action) tient ensemble la radicalité de l’Evangile et le souci privilégié pour l’humain. Pour cela nous disons notre gratitude. »
Allocution de notre cousin, Patrick Deloche de Noyelle (Ligne VII branche 1) :
A l’issue de l’inauguration de la Place Sarah Monod, Patrick Deloche de Noyelle, président de l’association Famille Monod, a remercié les Diaconesses de recevoir les membres de la famille autour d’un verre.
Dans son discours, Patrick est revenu sur la personnalité de Sarah Monod en ces termes :.
Sarah Monod a été assurément Philanthrope.
Forte de son éducation, c’est bien la générosité de cœur et le souci d’aller au-devant de la souffrance des autres qui l’animait.
Elle a largement contribué au développement de l’Institution des Diaconesses pendant plus de 30 ans, qu’elle dirigea en tant que Directrice laïque. Institution où ont œuvré des chirurgiens de la famille, parmi lesquels :
Charles Monod, Président de la société de Chirurgie, Président de l’Académie de Médecine, son fils Raoul Monod, et son petit-fils Philippe Monod-Broca (ligne VII – Gustave) ont œuvré sur plus de 3 générations.
Par ailleurs, Waldemar Monod a été au comité de surveillance des Diaconesses. Son fils Alfred lui succéda et va fondra l’ « Ambulance Monod » avec Sarah et Gabriel.
Féministe, Sarah Monod a bien été précurseur et a été élue Présidente du Conseil National des Femmes Françaises, première association féministe créée en France, afin de donner aux femmes leur dignité ; combat sans cesse renouvelé encore aujourd’hui.
Mais, Sarah Monod a été fondamentalement Protestante ! Elle l’a été, par la force de ses témoignages et la nature de ses engagements, et c’est bien cette dimension qui sous-tend toute sa per- sonne.
Sarah Monod est un exemple de vie au service d’autrui qu’elle a conduite dans une démarche typiquement laïque, marquée par la sobriété.
En tant que Protestante responsable, son action a été empreinte de discrétion ; mais son combat a été soutenu par une foi héritée et forgée dans le cadre d’une tradition familiale bien ancrée. Elle a défendu beaucoup de causes, et livré de nombreux combats.
Sarah Monod a combattu le bon combat :
« J’ai combattu le bon combat, j’ai gardé la foi », dit l’Evangile.